CSF est intervenu du 12 au 30 octobre 2019 pour la seconde année consécutive au Sénégal. L’équipe de six artistes français et sénégalais s’est rendue à Dakar, Louga, Kaolack, Fatick et Thiès, où elle a présenté le spectacle issu de cette collaboration et animé des ateliers de pratique artistique auprès d’enfants en situation de rue, de privation de liberté ou protégés par la justice.
Le Sénégal est aujourd’hui la quatrième économie et l’un des pays les plus industrialisés de la région ouest-africaine. Pourtant, beaucoup de personnes y vivent avec moins de 1,90$ par jour et la présence de l’Etat est limitée et inégale sur le territoire.
Le pays subit déjà les difficultés liées aux dérèglements climatiques. Plusieurs régions, notamment à proximité du Sahel au Nord-Est et Sud-Est, souffrent d’une insécurité alimentaire aggravée par des épisodes intermittents de sécheresse et d’inondations, et de nombreux enfants en situation de précarité et de malnutrition souffrent de sérieuses séquelles physiques et psychologiques. La croissance démographique y est de plus très forte (+3,5% par an selon la Banque Mondiale) et n’est pas suivie d’investissements structurels suffisants et durables, pouvant faire profiter la population des bonnes conjonctures économiques du pays.
La situation dramatique des enfants talibés
Dans les zones urbaines, les enfants en situation de rue représentent un enjeu humanitaire majeur. Beaucoup d’entre eux sont des enfants « talibés ». Placés dans des écoles coraniques ou « daaras », nombre de ces garçons entre 5 et 18 ans se retrouvent exploités et passent la majeure partie de leurs journées à mendier, contraints par leurs maîtres coraniques à rapporter de l’argent (entre 250 et 2000 francs CFA, soit entre 1 et 4$). Déjà exposés à toutes sortes de risques à l’extérieur, ils peuvent aussi être victimes de violences au sein même de l’école coranique, le « daara ».
Human Rights Watch estime que 100 000 jeunes sénégalais pensionnaires des daaras sont concernés, en majorité présents dans la région de Dakar. Elle relève plusieurs cas de négligence, passages à tabac parfois mortels, violences sexuelles et séquestrations ces deux dernières années.
Malgré le lancement en 2016 d’un programme national de lutte contre la mendicité visant notamment les enfants en situation de rue, la situation reste très préoccupante. Si une prise de conscience collective sur cette situation émerge et de plus en plus d’officiers de police et d’habitants dénoncent ces maltraitances, les quelques cas d’arrestations et poursuites n’aboutissent pas. Outre l’incapacité des politiques publiques à arrêter la traite des enfants, il s’agit d’un phénomène lucratif en expansion et le sujet se heurte à de nombreuses résistances au sein même de la société sénégalaise, respectueuse des leaders religieux que sont les marabouts.
Les mineurs en situation de privation de liberté
L’Observateur national des lieux de privation de liberté dénombrait 442 mineurs en détention en septembre 2016. Si certains centres disposent de quartiers réservés aux mineurs, ce n’est pas le cas de tous. Les prisons pour femmes ne disposent pas quant à elles d’espaces dédiés aux mineures. Enfin, les conditions de détention engendrent surtout de nombreux risques psychosociaux qui s’ajoutent aux situations traumatisantes vécues par les enfants.
Clowns Sans Frontières au Sénégal
En partenariat avec le Ministère de la Justice du Sénégal ainsi qu’avec de nombreuses ONG sur le terrain (SOS Villages d’Enfants Sénégal, le Samu Social Sénégal, l’Empire des Enfants, Plan International Sénégal et Djarama) et grâce à l’appui financier de la Fondation Pierre Bellon et de l’Ambassade de France au Sénégal, Clowns Sans Frontières est de nouveau intervenu au Sénégal du 12 au 30 octobre 2019. L’équipe franco-sénégalaise et éclectique était composée de clowns, d’un danseur hip-hop, d’acrobates et d’une marionnettiste. Ce fut pour les artistes français bénévoles de Clowns Sans Frontières une nouvelle occasion d’échanger et de coopérer avec les collectifs sénégalais de Sencirk et Djarama, et ainsi de développer les partenariats pour pérenniser le soutien psychosocial apporté par CSF aux enfants vulnérables dans le pays depuis deux ans.
En sa 25e année d’action artistique et solidaire en faveur des droits de l’Enfant et du Droit à l’enfance pour tous, CSF a ainsi donné suite à l’accompagnement initié auprès des enfants sénégalais les plus vulnérables (talibés, enfants en situation de rue ou en situation de privation de liberté), en leur offrant un moment de répit et de rêve collectif auquel les artistes les invitent à participer.
« J’ai beaucoup aimé le fait que les enfants aient participé à l’animation. Par exemple quand Nathalie nous a demandé d’appeler ensemble Patatou puis Bibeu, tout le monde l’a fait. On répétait après elle, c’était amusant. » Témoignage d’un jeune bénéficiaire
Après cinq jours de co-création artistique durant lesquels les artistes ont imaginé un spectacle inédit, l’équipe est partie en tournée durant deux semaines et a donné une quinzaine de représentations dans les villes de Dakar, Kaolack, Fatick, Thiès, et pour la première fois cette année à Louga.
« C’est la première fois que j’assiste à un spectacle. J’ai beaucoup aimé l’acrobatie et la musique. Je suis très content d’avoir assisté à ce spectacle, mais je le serais encore plus s’ils nous disent qu’ils reviendront. Pour le spectacle d’aujourd’hui je leur note 9/10 ; je garde le 1 jusqu’à leur retour. Là, j’ajouterai le 1 sur le 9 et ça fera 10/10. » Témoignage d’un jeune bénéficiaire
Deux grands axes d’action en vue pour 2019
Lors du projet mené en 2018, l’équipe artistique s’était rendue dans deux centres tenus par la Direction de l’Education Surveillée et de la Protection Sociale (DESPS), en charge d’enfants en conflit avec la loi ou protégés par le Ministère de la Justice. Cette année, CSF est également intervenu dans deux centres de détention, à l’intention des mineurs en privation de liberté à Dakar et Thiès.
L’équipe a également animé des ateliers de pratique artistique avec les enfants, ainsi qu’une journée de sensibilisation à l’action artistique pour des éducateurs et professionnels de la protection de l’enfance d’organisations partenaires à Dakar. Cette journée avait pour objectif de sensibiliser ces acteurs partenaires à l’usage des pratiques artistiques dans l’accompagnement du développement des enfants.
Enfin, en 2019, un universitaire sociologue sénégalais a accompagné le projet afin d’observer, analyser et évaluer l’impact des activités artistiques de CSF sur les enfants bénéficiaires du projet au Sénégal.
Cette intervention a été possible grâce au soutien financier de l’Ambassade de France du Sénégal et de la Fondation Pierre Bellon.
« Je suis née dans un milieu où ceux qui sourient tout le temps sont considérés comme des faibles. Pour que tes camarades aient peur de toi, il ne faut pas sourire quand tu t’adresses à eux. Il faut avoir l’air de quelqu’un qui est sadique, dure. C’est comme ça que nous vivions dans les rues. Aujourd’hui, me voilà en train de rire et de jouer comme les autres enfants. Ça me fait du bien. » Témoignage d’une jeune bénéficiaire