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Marik
responsable du projet de CSF à Madagascar
Pourquoi Clowns Sans Frontières intervient à Madagascar ?
Madagascar est un des rares pays où la situation sociale et économique se dégrade sans qu’il n’y ait de guerre civile ou de conflit. La conjoncture et les indicateurs sont préoccupants : mise en péril grandissante de la population, particulièrement des plus jeunes. C’est pour cette raison que Clowns Sans Frontières intervient à Madagascar depuis 2000.
En quoi consiste l’action de CSF à Madagascar ?
Tout d’abord, il est important de préciser que le lien avec Isabelle Marie, du réseau MAD’AIDS, notre partenaire sur place depuis le début, est un appui indispensable à notre action. Sa connaissance du terrain, son réseau associatif ainsi que son ouverture progressive à l’international permettent une collaboration très riche et une forte compréhension mutuelle des enjeux.
CSF porte une attention particulière aux plus jeunes et aux plus vulnérables en proposant des outils de « prévention primaire » pour leur permettre de développer leur libre arbitre afin qu’ils puissent faire face aux défis permanents liés à la précarité de leurs conditions de vie autrement que par le vol, la violence ou le don de leur corps.
C’est dans ce but que CSF a mis en place des ateliers pour donner la possibilité aux jeunes d’exprimer leurs émotions. Ceux-ci souffrent d’un manque d’espace et de possibilités d’extérioriser leur détresse et leur incompréhension du monde. Ils sont issus de familles en grandes difficultés, elles-mêmes prises dans la spirale de la survie. Ces ateliers permettent aussi de valoriser chaque enfant pour ce qu’il est : un être humain à part entière. En lui permettant de trouver sa place dans un groupe et dans la communauté et en l’aidant à affirmer que la première chose qui lui appartient c’est son corps, l’enfant comprend que son corps est son bien le plus précieux, et qu’il a le droit de refuser qu’on lui porte atteinte.
Chacun peut retrouver sa dignité et gagner en estime de soi, en prenant appui sur ces apprentissages. Par son action auprès des plus vulnérables, CSF entend affirmer toujours plus son engagement en faveur d’un droit à l’enfance pour tous et à tout âge, le droit de rire, de jouer et la liberté d’imaginer.
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En quoi consiste cette méthode et comment se déroulent les ateliers ?
Les jeux, la musique et le chant ont une grande place dans la tradition malgache et sont une manière pour les jeunes d’extérioriser leurs émotions.
Le jeu « Tantara » (« raconte », en malgache) est à la base un jeu traditionnel pratiqué par tous les enfants à Madagascar, qui consiste à « se raconter des histoires issues de son quotidien » à l’aide de petits cailloux.
La méthode du même nom développée par CSF offre la possibilité de solliciter l’imaginaire en prenant appui sur l’usage de la métaphore, grâce au support des chants et des images proposés. L’utilisation de cartes dessinées (représentant des lieux, des personnages – dont beaucoup d’animaux – , des objets et des émotions) constitue la base des éléments disponibles que les enfants choisissent pour dérouler eux-mêmes leur histoire.
Déroulement de la méthode :
- Tous les enfants sont rassemblés en cercle, face à un tableau sur lequel les cartes de jeu sont affichées.
- Un enfant vient choisir une carte de chaque catégorie.
- Un autre enfant va ensuite imaginer un début d’histoire en partant des cartes choisies.*
- Le récit est ensuite fidèlement repris et amplifié par un adulte, avec l’accord de l’enfant.
- L’histoire est en même temps retranscrite en images sur le tableau central, par un dessinateur.
- Elle est aussi incarnée par un comédien qui la met en scène en direct (avec éventuellement l’aide des enfants pour jouer certains rôles).
- À chaque étape, la musique et les chants viennent rythmer et colorer le récit.
- Cette première partie de l’histoire est validée par les enfants.
- Un autre enfant vient ensuite choisir une nouvelle carte et poursuivre le récit selon la même méthode.
Et ainsi de suite jusqu’à ce que le tableau soit rempli. Enfin, l’histoire est reprise dans son intégralité : le narrateur suit la trame des dessins (sur le tableau), les scènes sont incarnées par le comédien et les enfants, la musique et les chants rythment la narration.
Le jeu s’appuie sur la prégnance de la culture communautaire à Madagascar qui permet de valoriser l’importance de la collaboration plutôt que de la concurrence. Les enfants découvrent qu’en racontant une histoire à plusieurs, il est possible de faire évoluer et enrichir le récit, d’imaginer ensemble différentes trajectoires permettant souvent d’aller vers une issue positive inattendue.
Dans un deuxième temps, les artistes de Clowns Sans Frontières prennent quelques jours pour créer un spectacle en reprenant les préoccupations et émotions récurrentes évoquées dans les histoires inventées par les enfants. La narration pourra évoluer en fonction des choix réalisés (et encouragés par les enfants du public) par le personnage principal. Le spectacle sera ensuite joué devant un public élargi composé des enfants ayants participé aux ateliers mais aussi de leurs proches et d’autres bénéficiaires des ONG et associations partenaires.
L’objectif est double : montrer aux enfants qu’ils ont été entendus et que leur expression est précieuse ; mais aussi leur permettre d’expérimenter différentes situations, et de comprendre que chacun peut être acteur de sa vie.
* Chaque enfant est volontaire, aucun n’est forcé à s’exprimer.
Quelles sont les perspectives de CSF à Madagascar ?
Clowns Sans Frontières attache une grande importance au partage de compétences, et dès sa création, l’outil de la méthode « Tantara » a été pensé pour pouvoir être transmis. L’enjeu est que les associations, partenaires et éducateurs de terrain s’approprient un maximum cette méthode et participent ainsi à son essaimage.
Pour la prochaine mission qui aura lieu du 27 juillet au 19 août 2018, l’équipe travaille à l’élaboration d’un support constitué de deux livrets :
- Le mode d’emploi de la méthode « Tantara » (en français et en malgache)
- L’histoire du spectacle « Sétoakisoazi »
A partir de 2019, CSF entamera un nouveau cycle d’interventions à destination des mineurs en situation de privation de liberté, tout en conservant ses liens avec les organismes de prise en charge des enfants en situation de rues (fortement exposés au risque de détention). Un volet concernant les mères d’enfants en bas âge vivant en milieu carcéral sera également développé en lien avec les ONG partenaires et le Ministère de la Justice de Madagascar.
Le partenariat avec le groupe de musique Telofangady se poursuit et reste très précieux pour l’action de CSF. Leurs chansons ont une résonance et un impact dans tout le pays, leur groupe évoluant dans le top 50 de la chanson malgache. Nous constatons régulièrement avec beaucoup d’émotion que la présence des Telofangady au sein de l’équipe contribue à toucher la sensibilité du public, qui se sent valorisé et apprécie ces moments de rencontres privilégiés avec leurs « idoles ».