En juin 2021, Clowns Sans Frontières France et Médecins du Monde (MdM) ont initié un projet de correspondance entre les enfants de l’école Paul Langevin à Aubervilliers (93) et les enfants déplacés du camp de Chamesko, au nord de l’Irak. Ce projet a pour but de permettre aux enfants irakiens de s’évader de la réalité du camp en imaginant un « ailleurs » grâce à l’échange avec des enfants habitant un autre continent. La rencontre interculturelle enrichira les deux groupes via le partage d’éléments de leur vie quotidienne. Les enfants de l’école à Aubervilliers pourront ainsi aborder la question des droits de l’enfant, du droit de rire, de jouer, le droit au bien-être et à la légèreté. Cet échange crée un cadre favorable pour que chacun des enfants français et irakiens puissent exprimer leurs idées et sentiments. Une « mission spectacle » est envisagée dès 2022, en partenariat avec la mission de MdM dans la région de Dohuk, à destination de la population du camp et des enfants en particulier.
La correspondance se poursuivra tout à long de l’année scolaire 2021/2022.
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Mohammad Sahou
Coordinateur en Santé mentale et soutien psychosocial, Erbil et Irak pour Médecins du Monde
Mohammad Sahou, Coordinateur en Santé mentale et soutien psychosocial Erbil, Irak pour Médecins du Monde nous en dit plus sur la mission de l’ONG dans le camp de Chamesko et sur les bénéfices d’une collaboration avec Clowns Sans Frontière.
Pouvez-vous nous parler de la situation des personnes et surtout des enfants qui vivent dans le camp de Chamesko en Irak ?
Le camp de Chamesko est l’un des plus grands de la région du Kurdistan d’Irak (KRI), accueillant environ 22 000 personnes déplacées à l’intérieur du pays. La majorité de la population du camp est composée de Yezidi qui ont fui la région de Sinjar (gouvernorat de Ninewa) pour échapper au génocide de cette communauté par l’Etat Islamique en 2014.
Beaucoup ont vécu des expériences traumatisantes liées à la guerre, dont il n’est pas facile de se remettre. En outre, les possibilités d’emploi sont rares et les activités génératrices de revenus sont limitées dans le camp, ce qui a un impact négatif sur les moyens de subsistance et la santé mentale de la population, en particulier pour les hommes dont le rôle traditionnel est de subvenir aux besoins de la famille. Tout ce qui précède contribue à générer un sentiment de frustration, de stress, d’anxiété ou d’autres formes de difficultés et de troubles mentaux chez les membres de la famille.
Les enfants sont touchés par les difficultés de leurs parents. Certains d’entre eux n’ont rien connu d’autre que la vie dans un camp de déplacés depuis leur naissance. Les enfants qui vivent dans le camp ne bénéficient pas d’une éducation appropriée ni d’espaces conviviaux pour des activités amusantes. Comme les enfants sont entourés d’adultes qui vivent des traumatismes et des difficultés, beaucoup d’entre eux souffrent de problèmes psychologiques liés à la situation du camp et aux circonstances familiales. En travaillant dans le camp, Médecins du Monde a pu constater que de nombreux enfants souffrent de problèmes de comportement, d’énurésie et de difficultés d’apprentissage. Pour les adolescents également, la vie dans un camp peut être difficile. Un certain nombre de tentatives et de cas de suicide ont été signalés (pas particulièrement dans le camp de Chamesko, mais dans d’autres camps où vivent des communautés similaires).
Quel est le rôle de Médecins du Monde dans ce camp ?
MdM intervient dans le camp depuis décembre 2014 en gérant le premier et unique centre de soins de santé primaire. MdM soutient les autorités sanitaires locales pour fournir des services de santé de qualité aux résidents du camp. Cela inclut la fourniture de médicaments essentiels et d’équipements médicaux, un soutien logistique et le renforcement des capacités du personnel de santé local.
L’un des principaux volets de l’intervention de MdM en Irak consiste en des activités de santé mentale et de soutien psychosocial, avec pour objectif d’accroître la résilience de la population cible et de promouvoir son bien-être psychologique. MdM vise également à sensibiliser la population aux thèmes de la santé mentale afin de réduire la stigmatisation et le tabou autour de ce sujet en Irak.
Selon vous, quel pourrait être le bénéfice d'une collaboration avec Clowns Sans Frontière pour les habitants du camp ? Qu'en attendez-vous ?
La collaboration avec CSF serait une excellente occasion d’offrir une approche psychologique alternative dans le traitement des résidents du camp, en tenant compte des circonstances que ces personnes ont traversées pendant la crise du déplacement. En outre, la situation de pandémie a ajouté un nouveau fardeau sur leurs épaules (difficultés de subsistance, manque de soutien financier, anxiété et stress liés à la propagation du virus et peur de l’infection, isolement social dû aux restrictions de mouvement, etc.). Sachant que l’un des principes fondamentaux du concept de santé mentale et soutien psycho-social est de « faire face aux stress de la vie, de pouvoir travailler de manière productive et fructueuse et d’être en mesure d’apporter une contribution à sa communauté (OMS) », tout ce qui précède rend difficile pour les personnes de mener une vie décente en termes de bien-être physique, social et mental. C’est pourquoi MdM et CSF développent des activités communes, qui visent à faire sourire les gens (surtout les enfants) et à leur donner l’espace nécessaire pour saisir un moment de bonheur au milieu de leur vie quotidienne difficile. L’aspect positif de ce projet sera certainement bénéfique en éloignant un moment les gens des facteurs de stress auxquels ils sont confrontés au quotidien. De plus, pour les enfants en particulier, cela pourrait leur donner l’espace nécessaire pour interagir et s’amuser tout en leur transmettant des messages d’espoir. Cela pourrait inciter les membres de la communauté à reproduire des activités similaires à celles qui se déroulent à l’intérieur du camp (spectacle coloré et artistique par exemple).
Le projet conjoint avec CSF permettra de renforcer les capacités du personnel de MdM en santé mentale et soutien psychosocial à concevoir de telles activités en étroite collaboration avec les acteurs locaux (comme cela a déjà été fait dans d’autres lieux soutenus), ce qui contribuera à la pérennité du projet.
Rendre les gens heureux est un objectif très noble, surtout pour ceux qui ont vécu des situations horribles et qui souffrent peut-être encore d’effets traumatisants. Et j’espère personnellement que ce projet fera sourire les gens, les adultes comme les enfants, un petit pas mais qui contribue beaucoup à la réalisation de cet objectif plus large.