Du 15 novembre au 4 décembre 2022, Clowns Sans Frontières a enfin pu se rendre à Madagascar pour réaliser un projet en collaboration avec Mad’aids. En 2021, le contexte sanitaire lié au Covid-19 avait empêché les artistes français de monter le projet sur place. Ils avaient soutenu à distance la tournée prévue, assurée par les musiciens du groupe Telofangady. C’est avec beaucoup de joie que toute l’équipe s’est retrouvée cette année en présentiel, pour de nouvelles représentations auprès d’enfants en situation de grande vulnérabilité ou d’adultes et de mineurs en situation de privation de liberté.
Quelle est la situation à Madagascar ?
Un nouveau rapport de la Banque Mondiale (2022) indique que 81% de la population vit sous le seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars/jour.
En zone rurale, les enfants des hautes terres sont particulièrement touchés par un retard de croissance associé à une malnutrition (47% des moins de 5 ans). Depuis 2021, le sud de l’île est en proie à la pire sécheresse depuis des décennies, entraînant une crise nutritionnelle. L’UNICEF alertait sur le fait que « 500 000 enfants de moins de cinq ans souffriront de malnutrition d’ici avril 2022, dont 110 000 de malnutrition aigüe sévère. » Par ailleurs, le manque de ressources de l’Etat, les difficultés économiques des familles et les troubles politiques n’ont pas permis de maintenir un système éducatif performant.
Madagascar est fréquemment soumis à des aléas climatiques et à des crises sanitaires. La crise Covid, l’augmentation des cours des énergies, de l’alimentation, la chute des exportations et la réduction des emplois ont durement frappé l’économie. Le pays est en proie à une insécurité grandissante et une montée des violences sous l’effet de cette crise économique.
De nombreuses familles, et particulièrement les enfants, se retrouvent livrés à eux-mêmes, aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones rurales isolées. Cette situation, qui tend à se dégrader, accentue aussi le phénomène des enfants en situation de rue et les risques auxquels ils s’exposent. D’après l’UNICEF, près d’un quart des enfants entre 5 et 17 ans a une activité économique (y compris la prostitution), 41,2% des 20-24 ans déclarent avoir été mariés avant 18 ans et près de 9 jeunes sur 10 déclarent avoir été victimes de châtiment corporel au sein de leur famille.
Et les mineurs en situation de privation de liberté ?
À Madagascar, la surpopulation carcérale, l’absence de procédures et de juridiction spécifiques aux mineurs empêchent une prise en charge adaptée. En 2021, 27 611 personnes, étaient détenues dans les prisons du pays qui ont une capacité d’accueil totale de 10 645 personnes. L’absence de séparation entre adultes et mineurs, couplée au manque d’espaces intimes (latrines communes, promiscuité des douches et des dortoirs), rendent ces derniers totalement vulnérables aux violences physiques et aux abus sexuels. Un tiers des mineurs ne sont pas séparés des adultes durant leur incarcération et un mineur sur vingt est une fille. De plus, l’éloignement des centres de détention ne permet pas de garder de liens familiaux, importants pour le développement de l’enfant, favorisant l’exclusion et accentuant les troubles psycho-sociaux.
En juillet 2021, on compte 918 mineur·e·s, âgé·e·s de 9 à 18 ans, incarcéré·e·s dans les 38 maisons centrales et les 2 centres de rééducation pénitentiaire. 77% d’entre eux sont en détention préventive.
Notre intervention artistique en 2022
L’équipe
Trois artistes françai.s.e.s ont intégré pour la première fois un projet Clowns Sans Frontières !
L’équipe est composée de :
- 5 artistes bénévoles de CSF : Marik (responsable logistique) et Jérôme (directeur artistique, metteur en scène et comédien), Cécile (musicienne, chanteuse, plasticienne, comédienne), Julia (comédienne et chanteuse) et Capo (comédien, constructeur, scénographe)
- 3 musiciens du groupe local Telofangady
Ils sont accompagnés par Isabelle Marie du réseau Mad’aids pour la coordination locale de la tournée.
Notre action
Les artistes ont été accueilli·e·s à l’Espace Rojo d’Antsirabe pour quelques jours de co-création du spectacle.
« Cette année, le spectacle intitulé ‘Le jour spécial de Tina » raconte l’histoire de l’enfant de la famille Tchiembe (ogre local). Tina doit quitter ses parents pour son voyage initiatique, pendant lequel il doit partir sur la route récolter des cris d’enfants dans une marmite traditionnelle. Mais Tina ne sait pas faire peur… Sur sa route, il rencontre un maki, puis une tortue et pour finir l’oiseau du haut des branches. Il revient de son voyage avec une marmite pleine de rires !!! À l’ouverture de la marmite, les rires fusent, et son père Tchiembe a peur pour la première fois de sa vie, ce qui fait beaucoup rire sa mère. Tina explique alors qu’il a choisi de faire comme son grand-père : de faire « rire » plutôt que de faire peur ! » – Jérôme, responsable artistique du projet
La tournée a débuté le 20 novembre, et les artistes se sont déjà rendus dans plusieurs villes du pays afin d’offrir une parenthèse de rires et d’émerveillement aux enfants accompagnés par des associations locales partenaires et dans les prisons.
La première représentation s’est déroulée devant 450 enfants du réseau Sahaza, ainsi qu’un groupe d’une soixantaine d’enfants sourds et quelques enfants en situation de rue. Le lendemain, les artistes ont joué devant 1365 personnes, dont 72 femmes et 62 mineurs dans la prison d’Antsirabe. Les détenus vivent dans des conditions qui les rendent très vulnérables, dues à l’espace restreint de ce lieu initialement prévu pour 369 personnes.
« Il y a 15 ans, quand nous avons commencé à venir jouer ici, il y avait un effectif de 550 détenus qui nous paraissait déjà énorme aux vues de l’espace. Aujourd’hui, ils sont si nombreux qu’il est difficile de se frayer un passage en traversant leur seule cour. » – Marik, Responsable logistique du projet
Le spectacle a ensuite été présenté devant 600 enfants et 200 adultes accueillis par SOS Village d’enfants. Puis, la troupe a pris la route vers Fianarantsoa, en faisant un arrêt à la prison d’Ambositra. Le lendemain, ils ont joué dans un centre pour lépreux Marana, et 350 enfants du village où est situé le centre avaient également été invités pour l’occasion. Bien qu’impressionnés de prime abord, les enfants ont passé un très bon moment.
« Vous leur avez apporté quelque chose de précieux, vous leur avez mis une lumière dans le cœur. Ça va profiter à beaucoup plus, et pendant très longtemps, car ils vont continuer à raconter et revivre ce moment. » – Une sœur du Centre pour lépreux Marana.
À Vozama, une association partenaire depuis plusieurs années, les enfants ont accueilli l’équipe en chantant la chanson Fihavanana (Fraternité), composée et jouée par les Telofangady durant la tournée en 2021 ! Ils s’en souvenaient encore !
Suite à deux journées de repos et de route, les artistes ont mené un atelier de pratique artistique et donné 3 représentations à Tuléar. La tournée se poursuit jusqu’au 4 décembre. Les artistes continueront d’offrir une bulle de répit et de rires aux enfants en situation de vulnérabilité ou de privation de liberté autour de Tananarive.
En savoir plus
Parallèlement à cette nouvelle intervention à Madagascar, une évaluation d’impact est en cours en collaboration avec Prospective et Coopération. Un sociologue a mené sur place un focus group, afin mesurer les effets sur les partenaires et les bénéficiaires, et la durabilité de ce projet.
L’équipe a également eu la chance d’être accompagnée par David Quesemand, photographe et vidéaste professionnel, venu finaliser, bénévolement lui aussi, un projet de film pour Clowns Sans Frontières initié en 2018.
Merci à tous nos partenaires !
- Partenaires actuels : Le réseau Sahaza, le village de lépreux / Centre Marana, le centre Don Bosco (avec Karenjy), le centre Vozama, Centre Akany Avoko, Grandir Dignement, Telofangady, Réseau MAD’AIDS, Ministère de la Justice de Madagascar, SOS villages d’enfants, ONG Mondo Bimbi, ONG Bel Avenir.
- Partenaires financiers : Fondation Pierre Bellon, Institut français / Ville de Paris, SCAC de l’Ambassade de France à Madagascar.
Ce projet se poursuivra en 2023, toujours en collaboration avec le réseau Mad’aids.
>>> En savoir plus sur nos interventions artistiques précédentes à Madagascar.
