Co-construire un spectacle de sensibilisation avec des jeunes en situation de rue.
Présente ponctuellement de 2005 à 2014 aux Philippines, l’association Clowns Sans Frontières a développé, en cette fin d’année 2022, un nouveau projet d’ateliers de pratiques artistiques en partenariat avec l’Association Sœur Emmanuelle (ASMAE). Des artistes français et philippins ont collaboré durant plus de 2 semaines, afin d’accompagner et former une quinzaine de jeunes à la création d’un spectacle.
Quel est la situation des jeunes aux Philippines ?
Près de 26 millions de Philippins vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 23% de la population.
La situation des enfants philippins est alarmante. En effet, plus d‘un million d’enfants travaillent, des centaines de milliers sont des enfants en situation de rue, et de 3 à 6 millions d’enfants sont abandonnés par des travailleurs qui migrent à l’étranger.
A Manille, ASMAE estime à 4 millions le nombre de familles vivant en bidonville ou dans la rue (sur une population totale de 10 millions d’habitants). Ils survivent grâce à des petits boulots, grâce au vol ou à la prostitution. Beaucoup d’enfants « des rues » refusent la prise en charge des travailleurs sociaux et fuguent des centres d’accueil. En effet, selon des associations des Droits humains, certains centres ressemblent à des prisons : barreaux aux fenêtres, interdiction de visites de proches, problèmes de surpopulation…
Selon un documentaire, La « guerre contre la drogue » menée par l’ancien Président Duterte, a considérablement renforcé la vulnérabilité de ces enfants. En 2 ans, la police a arrêté 1300 mineurs pour « des crimes en rapport avec le trafic de drogues » et tués 100 enfants. Légalement, aucun mineur de moins de 15 ans ne peut être détenu dans ces centres, mais la loi n’est pas appliquée. Les mineurs vivent dans des conditions déplorables, et les plus âgés abusent régulièrement des plus jeunes. Autre conséquence de cette opération : des milliers d’enfants ont perdu leurs parents, et on estime que 500 000 d’entre eux ont eu au-moins un de leurs parent emprisonné pendant 1 an.
Les Philippines ont été gravement touchés par la pandémie de COVID-19 et, en mars 2020, le pays a pris des mesures très strictes dont des confinements et quarantaines communautaires renforcées. Les confinements successifs ont eu des conséquences sur les conditions de vie et la santé mentale des enfants qui n’ont pas eu le droit de sortir, aller à l’école, jouer dehors pendant plus de 20 mois. Or, dans les bidonvilles de Manille et sa banlieue, des familles entières vivent dans seulement quelques mètres carrés. Cette promiscuité a favorisé l’augmentation des violences envers les mineurs, notamment les violences sexuelles. En outre, le « tourisme sexuel » de mineurs est très actif aux Philippines. La moyenne d’âge des enfants abusés baisse depuis les années 2000 : aujourd’hui beaucoup ont moins de 10 ans. D’après ASMAE, 60 000 à 100 000 enfants seraient impliqués dans des réseaux de prostitution.
Une action durable
Notre partenaire local
ASMAE souhaite sensibiliser et impliquer les familles et les jeunes en situation d’exclusion. Plutôt que d’avoir une approche descendante, l’association souhaite que les jeunes soient acteurs de la sensibilisation et même de leur plaidoyer auprès du gouvernement. Cette démarche s’inscrit dans une volonté globale d’insertion des enfants et familles en situation de rue.
Les objectifs d’ASMAE Philippines dans le domaine de la prévention et prise en charge des enfants en danger, l’accompagnement de l’adolescence sont multiples :
- Appuyer des projets axés sur les droits de l’enfant: lutte contre la maltraitance, participation des jeunes au sein de la communauté etc. ;
- Lutte contre les violences basées sur le genre faites aux jeunes et l’exploitation sexuelle des enfants.
Des ateliers artistiques pour faire valoir les droits des enfants à Manille
Du 27 novembre au 15 décembre, Anne, Patrick et Frédéric, trois artistes de CSF, se sont rendus à Manille. Ils y ont retrouvé Gerry, un artiste plasticien philippin qui a déjà participé à plusieurs projets avec notre association.
Cette nouvelle intervention avait pour objectif d’aider les jeunes en situation de rue à transmettre des messages de sensibilisation à la question des droits de l’enfant à leurs pairs. Comme à leur habitude, les artistes de CSF l’ont fait de façon détournée et pédagogique en co-construisant un spectacle à leurs côtés. Ce spectacle a pour vocation d’adresser des problématiques sociales telles que le harcèlement à l’école, l’exploitation sexuelle en ligne ou les discriminations de genre, à-travers une thématique plus large : « Acceptez nous tel.le.s que nous sommes ». Les artistes ont formé ces jeunes aux techniques du spectacle en s’appuyant sur leurs compétences et talents.
- Le spectacle pourra continuer à être joué après le départ des équipes de Clowns Sans Frontières.
- Les compétences acquises par les jeunes pourront être utilisées pour monter d’autres spectacles et faire entendre leurs voix.
- Ces jeunes pourront partager ces nouveaux acquis avec leur entourage.
Clowns Sans Frontières a mené 9 ateliers auprès de 11 adolescent.e.s accompagné.e.s (âgés de 13 à 18 ans) par ASMAE, et 1 représentation du spectacle. Les artistes de CSF se sont également rendus dans les quartiers auprès de personnes en situation de rue pour leur proposer des performances de clown improvisées.
Pourquoi Clowns Sans Frontières ?
Le spectacle est un formidable véhicule pour embarquer : il émerveille les plus jeunes, crée des interactions et génère de l’engagement, des réactions… Il permet également de distiller des messages sensibles dans la joie et le rire pour mieux partager.
« L’accès aux pratiques artistiques aide les enfants à voir le monde d’une manière différente et les oriente vers le bon chemin dans la vie. De simples travaux manuels, ou même le simple fait de peindre ou de jouer dans une pièce de théâtre peuvent faire ressortir la créativité d’un enfant, ce qui peut l’inciter à travailler et à bien faire. Lorsqu’ils voient leur travail exposé ou lorsqu’ils peuvent passer du temps avec d’autres enfants, cela leur apporte beaucoup de bonheur. Après avoir travaillé avec Clowns Sans Frontières pendant longtemps, j’ai constaté que les enfants adorent ces projets, car ils n’existent que pour eux. Ils peuvent échapper à leurs problèmes et à la dureté de la vie quotidienne. » – Gerry, artiste philippin
Clowns Sans Frontières s’appuie sur la culture, les savoirs et compétences des personnes qu’elle rencontre. Ce sont cette écoute et ces échanges qui permettent aussi de faire grandir et de progresser l’association.
Et en 2024 ?
Clowns Sans Frontières et ASMAE souhaitent inscrire cette action dans le temps, une nouvelle intervention se profile en 2024. De plus, les artistes philippins collaboreront à nouveau avec ASMAE Philippines auprès des jeunes en situation de rue au cours de l’année.