Clowns Sans Frontières et son partenaire sénégalais SenCirk ont organisé leur troisième mission conjointe du 09 septembre au 1er octobre 2021. Après de longs mois d’interruption d’activités du fait du contexte sanitaire, ce départ était particulièrement chargé en émotions pour les représentants des structures associées à ce projet au long cours initié en 2018.
Les interventions artistiques proposées durant cette mission ont été construites en partenariat avec le Ministère de la Justice (Direction de l’Education surveillée et de la Protection Sociale) et des ONG et associations locales telles que Pour le sourire d’un enfant, Futur au Présent, Keur Talibé Ndar, Village Pilote, l’Empire des Enfants ou encore le centre culturel de Louga, pour n’en citer que quelques-unes. Clowns Sans Frontières et SenCirk se donnent pour objectif de contribuer à l’amélioration de la prise en charge psychosociale des mineurs. Le collectif franco-sénégalais a présenté un spectacle co-créé par les artistes dans différentes structures locales. Des ateliers de sensibilisation à la pratique artistique ont été proposés aux travailleurs sociaux des organismes partenaires à Dakar, Saint-Louis et Thiès pour enrichir les outils d’accompagnement des professionnels du secteur médico-social au Sénégal.
Agir pour les enfants talibés
Les missions de CSF au Sénégal ont débuté en 2018, suite à la sollicitation de l’Ambassade de France au Sénégal, pour intervenir auprès des enfants en situation de rue et plus précisément les enfants talibés. Ceux-ci, souvent issus de familles très modestes, sont confiés par leurs parents à des écoles coraniques (les daaras) non formelles n’ayant souvent pas les moyens de subvenir aux besoins des enfants. Beaucoup les exploitent en les forçant à mendier et les assujettissent à de graves maltraitances (violences physiques, négligence, viols, séquestrations, etc.). Il est difficile de quantifier le nombre d’enfants talibés à Dakar et dans le reste du Sénégal. Nombre d’entre eux n’ont pas été déclarés à leur naissance aux autorités administratives. Cependant, l’ONG Human Rights Watch estime que le Sénégal compte plus de 100 000 enfants talibés.
Un programme national de lutte contre la mendicité (visant à retirer tous les enfants de la rue) en deux phases a été lancé en 2016 puis 2018 par le gouvernement, centré sur Dakar, mais les mesures de protection de ces nombreux enfants et la répression de ces abus restent limitées. Environ 300 enfants auraient été retirés des rues de Dakar en 2018 selon HRW, mais cette mesure n’a été accompagnée d’aucune enquête ou poursuite en justice. Le projet de loi sur le statut des daaras, accepté au Conseil des Ministre en juin 2019, n’a pas encore été adopté par l’Assemblée nationale. Ce texte pourrait être un premier pas vers une régularisation effective de l’ouverture et du fonctionnement des daaras.
La pandémie de Covid-19 a eu un fort impact sur la situation des enfants en situation de rue. En effet, ceux-ci ont de plus en plus de difficultés à mendier dans les rues du fait des craintes des personnes de les approcher, de la crise économique qui touche toute la population et des couvre-feux successifs afin d’empêcher la propagation de la maladie.
Voir à ce sujet le reportage d’Arte sur l’association Village Pilote: https://www.arte.tv/fr/videos/097562-000-A/senegal-enfants-des-rues-les-premieres-victimes-du-virus/
Les mineurs en privation de liberté
Rapidement, CSF a également voulu étendre ses interventions artistiques aux mineurs pris en charge par la Direction de l’Education surveillée et de la Protection sociale. Les mineurs incarcérés le sont pour la plupart au sein d’instituts pénitentiaires pour adultes puisqu’il n’existe qu’une seule maison d’arrêt et de correction spécifiquement dédiée aux moins de 18 ans au Sénégal, située à Dakar, même si certaines prisons sont équipées de quartiers pour mineurs.
L’Observatoire national des lieux de privation de liberté au Sénégal dénombrait 450 mineurs en détention en septembre 2016, dont plus de la moitié en détention provisoire. Les conditions de détention (surpopulation, promiscuité, absence de suivi psychologique, etc.) rendent les mineurs encore plus vulnérables. Le Sénégal a pourtant ratifié la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et signé les Objectifs de Développement Durable (ODD) des Nations Unies, dont les numéros 3 et 4, à savoir respectivement l’accès à l’éducation pour tous (y compris les mineurs en conflit avec la loi) et le développement et le bien-être de l’enfant. Les tentatives de réinsertion n’atteignent pas leurs objectifs. En effet, malgré des formations en anglais ou en plomberie, élevage ou cordonnerie par exemple (comme à la Maison d’Arrêt et de Correction de Hamm, Dakar), le taux de récidive est très élevé selon Amnesty International et l’Association pour le Soutien et la Réinsertion des Détenus.
La mission Sénégal 2021 en chiffres :
- 23 jours sur place
- Plus de 2500 bénéficiaires dont une majorité d’enfants mais également près de 300 hommes incarcérés, 12 artistes de SenCirk et 39 travailleurs sociaux participant aux ateliers
- Une équipe artistique composée de 3 artistes clowns français, 3 artistes acrobates sénégalais et 1 responsable logistique français
- 17 spectacles et 1 déambulation
- 4 ateliers de renforcement de compétences destinés aux artistes de SenCirk (initiation à l’art du clown et au jeu scénique)
- 1 atelier de renforcement de compétence sur la gestion de projets culturels pour l’équipe de SenCirk
- 3 ateliers d’initiation à la pratique artistique pour les travailleurs sociaux
Régions d’intervention au Sénégal : Thiès, Louga, Saint-Louis, Mboro, Rufisque, Dakar, Toubab Dialaw, Popenguine
Cette année encore, CSF et SenCirk se sont rendus auprès des jeunes confiés à la justice présenter leur spectacle courant septembre. Les artistes se sont produits à la prison de Thiès, au centre de premier accueil pour les mineurs placés par le Ministère de la Justice à Saint-Louis et à la prison pour mineurs de Dakar. Cette dernière représentation a eu lieu grâce à notre partenaire sur place, l’association Futur au Présent, qui a également permis l’organisation d’un spectacle au Camp Pénal de Dakar, une prison comptant autour de 1000 détenus adultes.
Ces interventions artistiques ont été organisées en partenariat avec des ONG et associations locales accompagnant des mineurs. Cette année, la mission de CSF et SenCirk a pu compter sur l’accueil et le soutien opérationnel d’institutions publiques et organisations privées, dont quelques nouvelles structures qui ont accueilli pour la première fois une mission CSF/SenCirk.
« La construction du spectacle et la mise en scène étaient parfaitement adaptées au type de public que nous avions, c’est-à-dire des enfants qui ne parlent pas français et qui sont éloignés du monde de la culture et du spectacle vivant. Les alternances entre clowns et acrobaties ne laissent aucun répit aux enfants pour se distraire ailleurs, ils sont tous dedans ! Tous les enfants essayaient de reproduire certaines figures à la fin du spectacle et je suis sûr qu’ils s’en souviendront longtemps.» Témoignage de Valentin Jeancourt-Galignani, encadrant à L’Empire des enfants de Ndayane, 2021
Des ateliers de formation et de sensibilisation
Outre le spectacle, dans un souci de durabilité de l’action de CSF au Sénégal, une bénévole de l’association a animé 3 jours de formation au clown destinés aux artistes de SenCirk. Un atelier autour de la gestion de projets culturels a également été mené par un bénévole de CSF pour faire monter en compétence l’équipe de SenCirk.
« Cet atelier va beaucoup m’aider auprès des enfants et dans ma vie d’artiste. La formatrice était super : elle a été disponible, nous a donné de nombreux exemples, nous a poussés à progresser encore et encore. Elle nous a donné envie et l’empathie de travailler toujours plus. J’aimerais vraiment que Nathalie revienne et voit l’amélioration chez moi suite à ces ateliers.» Témoignage d’Adji, artiste et formatrice chez SenCirk, 2021
CSF et SenCirk se donnent aussi pour objectif de contribuer à l’amélioration de la prise en charge psychosociale des mineurs par la sensibilisation des travailleurs sociaux à l’art comme outil d’accompagnement. Le collectif artistique franco-sénégalais, créé le temps de la mission, a ainsi proposé des ateliers d’initiation à la pratique artistique au personnel d’organismes partenaires à Dakar, Saint-Louis et Thiès.
Cette troisième mission artistique et humanitaire a pu voir le jour grâce au soutien de la Fondation Pierre Bellon, de l’Ambassade de France au Sénégal, de l’AFD via le dispositif Accès Culture, du label Solidev de la ville de Paris et aux dons des particuliers soutenant CSF.
Les partenaires opérationnels sont : l’association des Femmes débrouillardes et solidaires de Saint-Louis, l’association des pionnières et pionniers ALboury Ndiaye, l’ASHAM, le centre culturel Le Château, le centre culturel de Louga, Le Centre ESTEL, Le Crepe (ONG JED), Djarama, L’Empire des enfants, Futur au Présent, Keur Talibe Ndar, la Liane, la Maison des Cultures urbaines, la Maison de la Gare, le Ministère de la justice du Sénégal – Direction de l’éducation surveillée et de la protection sociale et Direction de l’Administration pénitentiaire, Pour le sourire d’un enfant, Rabec, Samu Social Sénégal , Secours Islamique France, et Village Pilote.
« Si vous connaissez le cirque et le clown, vous savez quels bienfaits ils peuvent avoir sur les enfants : l’amélioration de la concentration, le partage, le vivre ensemble, le rire. Rigoler, c’est très important pour les enfants mais aussi pour les adultes ; ça fait du bien au corps humain.» Témoignage de Modou Fata Touré, directeur de SenCirk, 2020